L'Australie et le contrat du siècle

Publié le 27 Avril 2016

La France, via DCNS, vient de décrocher le plus grand contrat militaire de son histoire : le renouvellement de la flotte sous-marine australienne avec des dizaines de milliards d'euros à la clé. L'importance de l'évènement mérite d'être amplement soulignée au regard de la position d'outsider de la France qu'occupait la France face au Japon et dans une moindre mesure, à l'Allemagne. Le timing de l'annonce a aussi une symbolique remarquable puisque le gouverneur-général d'Australie venait d'arriver en France pour les commémorations de l'Anzac Day.

Ce dossier pose par ailleurs de multiples questions, la construction ou du moins l'assemblage des pièces, sera réalisé en Australie (sauf peut-être pour le premier des douze exemplaires). A ce titre, les retombées sur l'emploi en France seront sans doute moindres que prévues et il y a évidemment quelque chose d'embarrassant dans le fait que le gouvernement socialiste s'avère bien meilleur marchand d'armes que son prédécesseur de droite.

C'est paradoxalement en Australie que la polémique pourrait être la plus vive car ce pays qui a connu cinq premiers ministres depuis 2010 est en période pré-électorale avant les élections de juillet et la situation du gouvernement actuel y est délicate.

Pour préserver un emploi manufacturier déclinant (l'Australie ne produira plus la moindre voiture à partir de 2017), le gouvernement a accepté un surcoût d'environ un tiers, et un journal australien d'affirmer qu'il aurait été préférable d'avoir pour le même prix 16 sous-marins tous construits en France, sachant que les sous-marins ne doivent pas servir à créer des emplois mais bien à défendre l'Australie. En outre, les chantiers d'Adélaïde en seront les bénéficiaires exclusifs au dépend de Sydney et Perth, ce qui provoque déjà des grincements de dents du côté des gouverneurs des Etats australiens concernés.

Si une remise en cause globale de la décision prise ne semble a priori guère envisageable au regard du coût politique que cela aurait, on peut s'attendre à ce que les négociations précédant la signature (dont on peut penser qu'elle aura lieu avant les élections australiennes) soient complexes et difficiles et que cette affaire laisse un goût plus amer que prévu.

Autre aspect significatif du dossier : l'Australie en choisissant DCNS, a affirmé une certaine autonomie face à l'allié américain qui ne cachait pas sa préférence pour le Japon, autre pilier de son système de défense en Asie-Pacifique. Bien que n'étant pas voisine de la zone de tension en Mer de Chine méridionale, et bénéficiant par ailleurs du basculement stratégique américain du Moyen-Orient vers l'Asie, l'Australie développe malgré tous ses propres capacités de défense et s'engage nolens volens dans les tensions en Asie de l'est et dans le Pacifique. 

Il est d'ailleurs permis de se demander s’il n'y aurait pas eu dans ce cadre des garanties mutuelles entre Paris et Canberra sur les questions de sécurité régionales côté français et côté australien sur l'avenir en suspens de la Nouvelle-Calédonie, territoire français aux portes de l'Australie où un référendum d'autodétermination est prévu pour 2018 au plus tard.

La liberté de navigation est une question existentielle pour cette île-continent, très riche en ressources et hautement développée (son IDH est le deuxième au monde), mais sous-peuplée, géographiquement isolée du reste du monde tant de son berceau européen que de son protecteur américain. Depuis les années 1960, c'est l'Asie qui domine le commerce australien, d'abord le Japon et désormais la Chine, ce qui a créé un découplage entre l'orientation de plus en plus asiatique de l'économie australienne et l'appartenance du pays à la sphère d'influence américaine et au monde occidental.

Jusqu'à présent bénéficiaire de l'expansion économique chinoise, l'Australie se sent de plus en plus menacée dans son indépendance par l'appétit de Pékin pour ses ressources naturelles, outre son expansion maritime. Préalablement à l'annonce de sa décision sur les sous-marins, le gouvernement a ainsi bloqué l'achat par la Chine de la société S. Kidman and Cо qui possède 1% de la superficie de l'Australie. 

Ce contrat historique, s’il se confirme, aura des conséquences durables quoique difficiles à déterminer dans un avenir proche.

 

 

Rédigé par Jean-Manuel Lagier

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